[ENTRE NOUS] #40
Susanne Juul, traductrice d'origine danoise, a fondé en 1991
la maison Gaïa Éditions avec son mari, et l'a dirigée jusqu'en 2019. Elle a
fait découvrir en France des auteurs nordiques comme son compatriote Jörn Riel
et la très grande norvégienne Herbjorg Wassmo (comment, toujours pas de prix
Nobel pour elle ? scandaleux !). Elle l'avait accompagnée à la Carline lors
d'une mémorable rencontre il y a quelques années. Susanne est quelqu'un de
précieux dans le paysage éditorial français et nous espérons qu'elle nous
offrira encore, via ses traductions, de nouvelles découvertes nordiques.
[Ce temps de confinement et d’intériorité est-il propice à
la créativité ?] Pour ma part, oui forcement. 1) parce qu’on a du temps 2)
parce qu’au bout d’un moment, l’ennui pointe son bout du nez, et alors le
cerveau passe en mode inventivité.
[Sur quel projet travailles-tu actuellement ?] Je ne
suis (hélas) pas encore à l’ennui, car lancée dans mille projets pratiques,
surtout autour de mon obsession favorite, la culture potagère.
[Une source d’inspiration dans ce contexte ?] Ce qui
m’inspire le plus en ce moment, c’est la nature, l’air libre, les oiseaux, les
bourdons, les abeilles, les fleurs (ça fait un peu bête, mais j’assume). Je me
réjouis à chaque instant d’avoir la chance d’être « confinée » à la
campagne, dans une maison qui donne sur la forêt.
[Une musique qui fait du bien ?] Écouter en boucle Spain
– on ne peut imaginer plus soporifique – ou, à l’opposé, The Smashing Pumpkins,
histoire de bien se réveiller ! Hans Zimmer (Interstellar) est idéal aussi
pour se donner une sensation d’espace.
[Un film auquel tu penses beaucoup ?] « Les
émigrants » et « Le nouveau Monde », ces films cultes avec Max
von Sydow, mort en mars dernier à 90 ans, malgré son immortalité, et Liv
Ullmann, tirés des romans de Vilhelm Moberg. Depuis mon adolescence je reviens
très régulièrement à cette œuvre immense, et « La saga des émigrants »
(titre français de l’œuvre) est une des publications qui me tient le plus à
cœur dans le catalogue de Gaïa. Demandez à n’importe quel suédois qui sont Karl
Oskar et Kristina, vous allez sans aucun doute déclencher de l’émotion. Tous
les suédois connaissent ces personnages sublimes d’une fiction fondée sur
l’histoire de la Suède et d’environ un million de suédois – représentant entre
le quart et le tiers de la population de l’époque – qui quittaient tout ce
qu’ils connaissaient, pour partir fonder une nouvelle vie en Amérique, une vie
qui devrait être meilleure pour leurs enfants et les futures générations. On
l’oublie aujourd’hui, mais au 19e siècle, les pays Scandinaves étaient pauvres,
en Suède les gens mouraient de faim.
[Un bruit qui te rassure ?] Les « bruits » ne
me rassurent pas particulièrement, mais tous les sons de la nature oui, encore
les oiseaux…
[Une sensation qui te manque ?] Tenir la main de ma
mère. Elle est en maison de retraite au Danemark, n’arrive presque plus à
parler au téléphone (maladie de Parkinson), et je ne sais pas quand je pourrai retourner
la voir. Même quand ce sera possible, je ne me vois pas passer deux heures en
avion avec plein de gens, pour ensuite aller lui rendre visite… J’ai très peur
de lui apporter le coronavirus.
[En ce moment, ton principal trait de caractère ?]
Faudrait demander à mon compagnon… Vision pragmatique des choses ?
[Ce que tu apprécies le plus chez tes voisins ? Ce que
tu détestes chez eux ?] Nous n’avons qu’un voisin assez lointain – qui n’a
pas l’air d’aimer particulièrement le travail d’entretien de son jardin, mais
qui doit s’ennuyer. En tout cas, il débroussaille, passe la tondeuse, arrache
des arbres au tracteur, puis tourne en rond, parlant tout seul, de plus en plus
fort…
[La pensée qui te traverse le plus souvent ?] A quel
point c’est important de vivre dans l’instant. Ici et maintenant.
[Tes lectures sont-elles différentes en ce moment ?] Étrangement, je lis peu en ce moment. Et alors qu’on devrait avoir encore plus
envie que d’habitude de s’évader par la littérature, je lis surtout des choses
très pratiques, car je ressens encore plus que d’habitude le besoin d’apprendre
à être autonome, nous rendre de plus en plus autonome d’un point de vue
alimentaire, et savoir faire un maximum de réparations et d’entretien par
nous-mêmes.
[Sur ta table de chevet, il y a…] « Lykke-Per » de
Henrik Pontoppidan, un grand (dans tous les sens du terme) classique danois que
je n’avais encore jamais pris le temps de lire. « La cravate » de
Milena Michiko Flašar, roman touchant sur un Hikikomori. Et un polar hilarant
écrit par un couple d’amis (non encore publié).
[Nous te laissons carte blanche pour
réaliser la vitrine de la Carline, que choisis-tu ?] De déléguer à quelqu’un
qui a du talent pour ça. J’aime beaucoup les belles vitrines, mais ne suis pas
moi-même très douée dans le domaine.
[Une urgence, là, maintenant ?] Non, pas du tout. Comme
disait quelqu’un : « Il n’y a pas beaucoup d’urgences, il y a surtout
des gens pressés… »