[ENTRE NOUS] #32

Juliette Penblanc est poète, auteure de prose narrative. Animatrice d'ateliers d'écriture, elle a initié les cycles d'ateliers à la Carline. Auteure rare, Juliette aime les croisements entre les arts, le travail en échos, et développe une écriture du cheminement, sur des sentiers de traverse littéraires dont elle a le secret. 

 
[Ce temps de confinement et d’intériorité est-il propice à la créativité ?] Tout dépend de quelle créativité on parle. Dans l’alignement des cailloux, avec ma fille, devant la maison, je déploie des trésors insoupçonnés.

[Sur quel projet travailles-tu actuellement ?] j’ai le projet de définir les grandes lignes d’un éventuel futur projet d’ensemble de textes. Peut-être un jour cela fera livre… (j’arrive mieux à jouer avec les cailloux.)

[Une source d’inspiration dans ce contexte ?] La montagne de Lure toujours. Elle aussi sait y faire en matière de minéral… mais aussi, à l’inverse, la chorégraphie parfaitement réglée des jets d’arrosage dans les champs de l’agriculteur voisin. Quelque chose de la transe.

[Une musique qui fait du bien ?] cela fait longtemps que je n’en écoute pas spontanément, je m’en étonne moi-même.

[Un film auquel tu penses beaucoup ?] Stalker de Tarkowski mais ce n’est pas nouveau. J’ai un petit côté obsessionnel et ce film nourrit mon obsession d’espace inédit. D’où le fait qu’il revienne très fort en ce moment à ma pensée.

[Un bruit qui te rassure ?] Les grillons en fin d’après-midi.

[Une sensation qui te manque ?] enlacer/ conduire

[Ce que tu apprécies le plus chez tes voisins ?] qu’ils existent évidemment.

[Ce que tu détestes chez eux ?]
La possibilité qu’ils puissent cesser d’exister.

[La pensée qui te traverse le plus souvent ?] Le service public… chouette truc, hein?

[Le livre qui manque à ta bibliothèque ?] Le dernier livre de mon amie Florence Pazzottu qui est sorti quelques jours avant le confinement, et que je n’ai pas pu acheter: "J’aime le mot homme et sa distance, cadrage-débordement", chez Lanskine (que je conseille bien sûr)

[Et celui que tu es heureuse d’avoir…] Ces derniers jours, j’ai fini "Aperçues" de Georges Didi-Huberman. Sa pensée parfois a des fulgurances qui illuminent des coins méconnus, à peine pressentis, de la mienne.

[Tes lectures sont-elles différentes en ce moment ?] Je lis peu, le soir seulement. Au début du confinement, je grappillais, j’étais incapable de me plonger dans une fiction par crainte du retour au réel ensuite. Depuis quelques jours, je lis les livres qui traînent (prêtés, donnés) que je n’avais jamais pris le temps d’ouvrir. J’ai découvert ainsi le personnage de Cody, détenu pendant 20 ans, et qui, alors qu’il approche de sa libération, ne parvient plus à penser sa vie ailleurs qu’en prison. L’angoisse est insurmontable à l’idée d’être en dehors de ses quatre murs. Je m’amuse d’avoir ouvert ce livre par hasard, sans même avoir lu la quatrième de couverture… ("Des choses idiotes et douces", Frédéric Boyer, P.O.L)

[Sur ta table de chevet, il y a…] Une pile de livres très instable dont l’ordre change régulièrement, des boules quiès, beaucoup trop de poussière.

[La dernière phrase que tu aies lue ?] en relisant quelques passages du dernier livre de Liliane Giraudon, "Le travail de la viande", P.O.L: pour toi le poète était/ une espèce desismographe/ qui éprouvait/ les secousses du sol/ et c’est vrai que nous écrivons/ avec nospieds

[Nous te laissons carte blanche pour réaliser la vitrine de la Carline, que choisis-tu ?] La facilité : des couvertures de livres d’anticipation. Du « Meilleur des mondes » à « Farenheit 451 » en passant par « 1984 »; « Sirius » de Stéphane Servant, « Nous sommes l’étincelle » de Vincent Villeminot… On peut ajouter les romans post-exotiques de Volodine et ses hétéronymes qui résonnent curieusement aujourd’hui. Et des tas d’autres auxquels seuls des libraires avisés, ce que je ne suis pas, penseraient.

[Une astuce ? Un « bon plan » de confinement ?] Chacun tente de se débrouiller avec ce qu’il traverse et mon « bon plan » ne pourra satisfaire quelqu’un d’autre. Je suis convaincue que l’astuce réside justement dans le processus même de la chercher, de la trouver peut-être. (Cf les cailloux)

[Si tu avais le choix, aujourd’hui, tu serais…] En randonnée en montagne.

[Une urgence, là, maintenant ?]
Elles se sont diluées progressivement… aucune ne subsiste.
 
[A l’heure actuelle, selon toi, la meilleure chose à faire ?] Courir ou penser. Maintenir le mouvement dans l’attente.