[ENTRE NOUS] #19
Marion Brunet écrit des livres qui s’adressent
parfois à des lecteurs adolescents, parfois aux adultes. Ce sont plutôt des romans
noirs, souvent tournés vers des problématiques sociales, des marginalités... Et c’est bien là son talent : la
franchise de son écriture et la lucidité de ses propos ouvrent nos horizons. Son
dernier roman, Vanda, publié aux éditions Albin Michel est un roman saisissant,
portrait d’une mère un peu paumée qui vit seule avec son fils de 6 ans. Un
roman qui venait de paraitre avant cette période de confinement, et qui attend
sagement votre retour sur une table de la librairie. Dans le précédent, Sans
foi ni loi, publié chez Pocket jeunesse, Pépite d’or du Salon de Montreuil,
elle s’essayait (brillamment) au genre du western pour nous emmener sur les pas
d’une héroïne hors-la-loi et hors du commun.
Nous n’avons jamais rencontré Marion Brunet. Ce n’est pas faute d’en rêver. Voilà un autre de nos projets…
Nous n’avons jamais rencontré Marion Brunet. Ce n’est pas faute d’en rêver. Voilà un autre de nos projets…
[Ce
temps de confinement et d’intériorité est-il propice à la créativité ?] Oui et non...
Oui
parce que les rencontres scolaires et déplacements en salon ont été annulés, ce
qui offre de belles plages de temps pour écrire. Et en plus je ne peux pas être
tentée par une virée au bord de la mer ou un apéro en terrasse.
Non
parce qu'écrire en faisant l'école à la maison à un enfant de CE2 c'est un brin
compliqué !
[Sur
quel projet travaillez-vous actuellement ?] Mon prochain roman, dont j'avais écrit...
allez, un tiers, avant le confinement. C'est marrant parce que c'est un
huis-clos sur un voilier, en pleine tempête. Rien à voir avec un virus, mais
question confinement et tempête (symbolique), on est dans le même merdier.
[Une
musique qui fait du bien ?]
Du rock, très fort, pour danser et exulter. Même si je ne suis pas une grande
sportive, le manque de marche et l'enfermement commencent à se faire sentir (je
vis en appartement).
[Une
sensation qui vous manque ?] Marcher,
me poser sur une terrasse au soleil, entendre les gens autours, les rires. Et
le plaisir d'une discussion débridée avec des amis, des étreintes. Lire un vrai
journal, avec l'encre qui tache les doigts et le bruit du papier qui se
froisse. Aller marcher dans la campagne, et sentir l'odeur de la mer (ici elle
est proche mais pas assez pour la voir ou la sentir, ce qui est très
frustrant).
[En
ce moment, votre principal trait de caractère ?] Angoissée, en colère, déconnectée parfois
(une forme de déni qui sauve), fatiguée (d'une fatigue poisseuse, mentale plus
que physique), sonnée. Et paradoxalement je rigole beaucoup, aussi.
[La
pensée qui vous traverse le plus souvent ?] Plus qu'une pensée, c'est une
question : et après ? Est-ce que la situation va permettre un grand
sursaut pour un changement radical de politique et d'organisation sociale et
écologique ou au contraire tout va repartir de la même façon, en pire ?
J'oscille. J'ai tendance à penser que ce sera la deuxième option, je pense
qu'il va falloir se battre (comme avant mais en pire), et que dans ce contexte
ce sera peut-être encore plus difficile qu'avant. Mais sans aucun doute encore
plus nécessaire.
[Vos
lectures sont-elles différentes en ce moment ?] Oui, je relis des romans-refuges qui
permettent l'évasion, moi qui défends plutôt l'écriture du réel en temps
normal.
[Une
astuce ? Un « bon plan » de confinement ?] Arrêter d'écouter le décompte des morts et
de lire ou regarder tout ce qui passe sur le coronavirus. Choisir un média de
qualité et s'informer une ou deux fois par jour, pour éviter de se faire
bouffer par l'angoisse.
Bien
sûr je pourrais suggérer des histoires de rythme et d'organisation des journées,
mais je pense que chacun fait ce qu'il peut comme il peut et comme il veut.
Certaines situations de confinement sont ignobles, invivables. Le confinement
vient confirmer et parfois mettre en lumière la violence des injustices
sociales ; on ne le vit pas de la même façon dans une maison secondaire en
Bretagne avec un jardin et dans un T2 à la Courneuve. Je considère que je fais
partie des privilégiés : je peux écrire, j'ai une grande bibliothèque, un
seul enfant, je vis avec quelqu'un que j'aime, dans un appartement aux
dimensions tout à fait viables. Et si je m'inquiète parce que mon dernier roman
est sorti une semaine avant le confinement (avec, donc, un gros risque de mort
annoncée), je suis déjà sur l'écriture du suivant, j'ai des projets de
rencontres scolaires à venir qui me permettront de compenser et je ne suis pas
démunie financièrement au point de ne pas pouvoir payer mon loyer et remplir le
frigo. Dans ces conditions, donner des conseils me semble forcément indécent.
J'en
ai quand même un (mais pas sûr qu'il soit bon !), je propose la lecture
régulière des journaux de confinements des nantis (des autrices bourgeoises aux
politiques véreux, totalement hors sol les uns comme les autres) pour
entretenir une saine colère, mais il ne faut pas trop en abuser sinon on passe
de la colère à la nausée (mention spéciale à celui d'Isabelle Balkany).
Après,
il y a plein d'initiatives sympas, des mises en commun de podcasts, de
programmes pour les enfants, des échanges hilarants autours de la situation, et
c'est très chouette.
Vincent Villeminot, par exemple, propose un feuilleton
littéraire dont il publie un nouveau chapitre chaque jour à 18h. C'est génial,
généreux, et ça mobilise des gens chaque jour à la même heure, dans un même
élan. J'adore ! Alors ça oui, je conseille à tout le monde d'aller le
lire : https://fr.calameo.com/read/006189501b879d3f34348
[Si
vous aviez le choix, aujourd’hui, vous seriez…] à Tanger, sur les toits de la Casbah, chez
des amis (un voyage prévu qui a été bien sûr annulé).
[Une
urgence, là, maintenant ?]
Aller voir la mer. Prendre une mine dans un bistrot avec plein d'amis et de la
musique.
[A
l’heure actuelle, selon vous, la meilleure chose à faire ?] Rester chez soi pour l'instant, mais
fourbir ses armes pour après.