[ENTRE NOUS] #4

Emmanuelle Houdart est autrice et illustratrice d’albums pour la jeunesse. D’un trait particulier, elle aborde sans tabou le temps qui passe, les différents âges de la vie et ce que l’on ressent de bonheurs (comme de difficultés, parfois) à vivre. Nous avons eu la joie de la recevoir en 2018. Un souvenir heureux, ému, pour elle comme pour nous. Son dernier album, Grandir, écrit par Laetitia Bourget, est paru aux éditions Les Grandes Personnes en septembre 2019.
 


[Ce temps de confinement et d’intériorité est-il propice à la créativité ?] Ahah il est surtout propice à l’angoisse ! Et contrairement à ce qu’on pense, on ne crée pas dans l’angoisse, celle-ci fige et rend un peu hagard comme un lendemain de cuite. En même temps, il n’y a rien d’autre à faire qu’à dessiner contre l’angoisse, à part la technique de base qui consiste à manger du chocolat Oui, je sais, je suis complètement contradictoire.

[Sur quel projet travailles-tu actuellement ?] Alors là, c’est une bonne blague parce que je suis en train de faire mon nouveau livre dont le sujet est… La mort ! C’est un album jeunesse qui s’appellera MORTEL et qui paraîtra chez les Fourmis rouges. Là j’en suis à la page du Paradis. J’écris aussi les textes. Il faudra que ça soit drôle et en même temps que ce soit une vraie réflexion sur l’au-delà, sur notre condition de mortel. J’adore ce livre et ce sujet que je voulais traiter depuis longtemps. J’ai eu de la chance de trouver l’enthousiasme et le sens de l’humour à toutes épreuves de mon éditrice Valérie Cussaguet pour l’éditer.

[Une source d’inspiration dans ce contexte ?] Je pense que la source est en soi. Pour garder cette source vive, pour qu’elle coule avec un joli bruit de ruisseau de printemps, je dois rester loin de toutes les informations, ne même pas savoir le nom du président de la République. Quand ce qui arrive au monde est trop grave, je suis obligée d’ouvrir un peu cet endroit protégé, et après, quand je connais le nom du président de la République, je suis déçue forcément. A cause de cette pandémie, comme au moment des attentats, les informations m’ont traversée, bouleversée et maintenant, j’essaie de refermer ma maison intérieure. C’est vital pour moi de ne rien savoir. 

[Une musique qui fait du bien ?] Je ré-écoute en ce moment la chanson « Mathématiques souterraines » de Hubert Félix Thiéfaine, j’ai adoré ce mec, je connaissais ses chansons par cœur. J’adore la phrase «  tu voudrais qu’y ait des ascenseurs au fond des précipices. » Sinon, je suis aussi obligée d’écouter le rap de mes enfants quand ils vont prendre un bain car la salle de bain est contigüe à mon atelier, et aussi l’Opéra de mon voisin du dessus. Et puis, je chante aussi à tue-tête mes vieux cantiques d’église, moi qui suis devenue complètement athée « Ohh seigneur en ce jour, écoute ma prièèèèèère "

[Un film auquel tu penses beaucoup ?] Je pense beaucoup à la suite des séries Engrenages, Hippocrate et Le bureau des légendes que j’attends avec impatience. Le soir, nous regardons tous ensemble en famille la saison 3 de la Casa de Papel et je regarde aussi pour la deuxième fois Years&Years qui est un vrai chef d’œuvre.

[Un bruit qui te rassure ?] Le bruit m’agace.

[Une sensation qui te manque ?] La légèreté intérieure que seule produit cette activité essentielle et inutile : faire du shopping.

[En ce moment, ton principal trait de caractère ?] Le doute.

[La pensée qui te traverse le plus souvent ?] Qu’est-ce que c’est chiant d’avoir la cinquantaine...

[Le livre qui manque à ta bibliothèque ?] En ce moment un gros livre très documenté sur la mort, les sépultures, l’au-delà, les anges, le Diable, les religions, me serait très utile.

[Et celui que tu es heureux / heureuse d’avoir…] Je suis trop contente d’avoir tous mes Fred Vargas que j’ai relu 5 fois…

[Tes lectures sont-elles différentes en ce moment ?] …et que je relis pour la 6ème fois.

[Sur ta table de chevet, il y a…] Des bouchons d’oreilles, un bol japonais en bois précieux, une grosse pile de livres, des photos de mon mari et de mes enfants, un poème de mon fils Merlin, un mot d’amour de ma fille Fantine, mon portable pour me réveiller.

[La dernière phrase que tu aies lue ?] « Le flic entra, avec l’expression rassasiée du type qui vient d’abattre un perdreau en plein vol "

[Une astuce ? Un « bon plan » de confinement ?] Alors moi, j’ai une astuce un peu bizarre : je brode. Comme je n’ai aucune compétence en la matière, que je brode des trucs sans importance, des fleurs, des plantes, des perles, et comme je le fait d’une façon hyper instinctive et anarchique, sans regarder les tutos qui me font mourir d’ennui, ça me détend complètement.
Le matin, je fais aussi trois quart d’heure de musculation, de yoga et de danse avec mes enfants et mon mari.


[Si tu avais le choix, aujourd’hui, tu serais…] Avec mon mari, mes enfants et tous mes amis chéris, en Suisse, dans la vallée de mon enfance, le Val Ferret. On mangerait des meringues à la crème de gruyère, on boirait de la Malvoisie flétrie, on irait se baigner aux sources d’eaux chaudes de Saillon. Le soir, on irait voir les vaches noires à l’étable et après on rentrerait à pieds par les prairies, protégés par les immenses montagnes noires, et on chanterait à tue-tête : « Ohh seigneur en ce soir, écoute ma prièèèèèèère "

[Une urgence, là, maintenant ?] Ben il faudrait que je bosse, ça prend du temps mine de rien ce questionnaire !

[A l’heure actuelle, selon toi, la meilleure chose à faire ?] Je ne suis pas assez informée pour donner des conseils. Je dirais que la meilleure chose à faire, c’est d’être gentil, tendre, et d’essayer d’être futé.

[Une question que l’on oublie de poser ? Et quelle serait ta réponse…] Tu les trouves sympas, toi, les trois libraires de la Carline de Forcalquier ?
Ce sont de vrais petits chéris d’amour !