ON LIRAIT LE SUD...

[ Une opération solidaire entre libraires et éditeurs du sud, proposée par Libraires du Sud, Éditeurs du sud, Jedi Paca et l'Agence Régionale du Livre PACA ]

Du 17 mai au 5 juin, 45 librairies mettent en avant des éditeurs du sud...


La Carline a le bonheur de mettre à l'honneur le catalogue des éditions du Typhon !

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Notre instinct de libraire nous dit que nous n'aurons pas à vous présenter très longtemps les superbes livres des éditions du Typhon, tant leurs textes, leurs univers, les auteurs de leur catalogue et leur approche de la littérature séduiront, si ce n'est déjà fait, nombre d'entre vous.

Installés à Marseille, Florian et Yves Torrès ont créé leur maison d'édition en 2018. Trois années qui n'ont certainement pas été des plus calmes mais, contre vents et marées, leur barque a tenu bon et les éditions du Typhon comptent désormais dans leur catalogue une dizaine de titres. 

Des romans uniquement, traduits pour la plupart, d'auteurs européens le plus souvent. Des textes qui ont en commun une forme d'intemporalité presque magique, des ambiances de contes noirs ou de romans gothiques, des textes injustement oubliés souvent, qu'une charte graphique sur mesure, élégante et très agréable rend étrangement familiers. Des univers fascinants, qui font de la lecture un temps de "plaisir presque coupable", selon les termes (très justes) employés par Yves lui-même au détour d'une conversation à propos d'un des romans du catalogue. 

Comme son nom l'indique, le Typhon a pour ambition de publier des textes puissants. Ses fondateurs ont d’emblée placé la barre assez haut... et de notre humble avis, à ce jour, aucun des romans qu'ils ont publiés n'est venu démentir l'instinct éditorial et le bon goût de ces deux talentueux éditeurs...  

... qui, en plus d'être brillants, sont sympas, et ont bien voulu se prêter au jeu de quelques questions pour faire connaissance... 

Bonne découverte !

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Le Typhon, pourquoi ce nom ?

Il y a plusieurs raisons comme, par exemple, le livre de Joseph Conrad*... Mais nous pensons que la plus parlante est la divinité malfaisante de la mythologie grecque qui est considérée comme le père de nombreux monstres.

On aime bien cette idée d'une littérature monstrueuse au sens où elle bouscule, transforme, élargit notre vision du monde, loin de l'idée d'une littérature qui ne serait là que pour nous conforter dans ce que nous pensons déjà. 

C'est dans ce sens, je crois, que l'ensemble de nos textes sont reliés par une littérature profondément vivante écrite par des auteurs qui portent l'orage en eux.


Comment est né le projet de votre maison d’édition ?

La maison d'édition est née à Marseille fin 2018. Dès le départ, nous avions vraiment une vision de lecteurs derrière cette envie de publier. Nous voulions proposer, traduire, rééditer des textes que nous aimions dans leur langue originale ou qui n'étaient plus disponibles en France. 

Très vite également, nous avons voulu nous pencher sur les auteurs et autrices oubliées, ceux et celles cachés dans la forêt de la littérature avec une grande appétence pour la littérature européenne. C'est une volonté de montrer à quel point notre histoire littéraire est une matière vivante, qui n'est pas figée, qui ne cesse de dialoguer entre les époques. 

Nous pensons profondément qu'en se plongeant dans les œuvres du passé, cela nous permet, à nous lecteurs, d'éclairer notre présent. C'est aussi une volonté d'aller contre un certain air du temps qui pense qu'il n'y a de valable que ce qui est nouveau. En ce sens, c'est aussi un travail sur la mémoire que l'on propose.


Le premier titre que vous avez publié ? Quelques mots ?

La maison s'est d'abord créée sur une volonté de publier des auteurs anglais des années 1950-1960. Des écrivains encore très importants en Angleterre, leurs livres sont considérés comme des classiques. C'est une littérature très offensive et en même temps très drôle, très caustique. 

Le premier auteur que nous avons publié à travers deux livres est John Wain avec Hurry on down et Et frappe le père à mort. En Angleterre, à l'époque où ces livres sont publiés, on est face à une société qui se replie sur elle-même et n'offre que peu de perspectives aux jeunes générations, si ce n'est le progrès technique (la TV...) et une vie bien réglée à l'usine ou au bureau, dans le meilleur des cas... 

Des auteurs comme John Wain ou Keith Waterhouse vont commencer à camper dans leurs romans des personnages que l'on ne voyait pas avant dans la littérature : des jeunes en rupture de ban, des ouvriers lassés de leur manque de perspectives... En somme, des romans où il est souvent question de conflit générationnel. Pour faire vite : John Wain fait partie d'une génération d'écrivains qui envoie balader ce qu’on est censé devoir au travail, à la famille et à la patrie au profit d’une revendication : refuser l’enclos imposé par la société.

Les romans de John Wain ou de Keith Waterhouse (Billy le menteur) comme ceux de Alan Silittoe, récemment publié par les éditions de l'Échappée, sont des monuments de la contre-culture anglaise. Piliers de bar, étudiants ou musiciens les citent sans cesse comme des modèles galvanisants. Ils ont été une référence pour David Bowie, Oasis, Yo La tengo. Les Arctic Monkeys y font directement allusion avec le titre de leur premier album extrait de Samedi soir, dimanche matin** : Whatever People say I am, that's what I m not. 

C’est aussi le cinéma anglais, celui du Free cinema qui a permis de populariser cette littérature avec des adaptations formidables comme Billy le menteur de John Schlesinger avec Tom Courtenay et Julie Christie.


Le catalogue s’organise autour de deux collections, Les hallucinés et Après la tempête

La collection "Après la tempête" regroupe des rééditions, des traductions d'auteurs du passé et du présent. Ces textes partagent souvent des thématiques communes autour de l'émancipation, des rapports entre les générations, entre l'individu et la société. 

"Les hallucinés" accueille, elle, des voix inclassables, à la frontières des genres, mêlant dans leur écriture des ambiances fantastiques ou gothiques. 

Elles peuvent paraître éloignées entre elles mais ces deux collections creusent souvent des sujets identiques (rejet, haine de l’autre, de soi, immobilisme, injustice…). C'est le cas, par exemple, du premier roman français que nous avons publié dans cette collection, Le chien noir de Lucie Baratte, qui sous la forme d'un conte traversé par le roman gothique nous parle du rapport à la domination et à l'émancipation.


S’il y avait une troisième collection, elle ferait une place à…

Un cabinet de curiosité, sans aucun doute. Ce ne serait que des livres bizarres, autant dans le fond que dans la forme. Cette collection pourrait mêler littérature, illustrations autour de sujets étranges.

Quel auteur rêviez-vous de publier ?

Il y a en a beaucoup. Mais, par exemple, quand nous travaillons sur des textes du passé, nous faisons toujours appel à des auteurs contemporains pour la préface. Toujours dans cette volonté d'un dialogue passé / présent.

Dans ce sens, nous sommes particulièrement heureux d'avoir travaillé avec Iegor Gran, l'auteur des Services compétents chez POL. Nous avons, avec lui, publié un livre de son père, André-la-Poisse, d'Andreï Siniavski qui était une grande figure de la littérature russe de la seconde moitié du XXe siècle.


Quelle idée y a-t-il derrière votre charte graphique ?

C'est avant tout une envie de parler aux lecteurs, de susciter du désir avec des objets que nous travaillons au maximum. C'est compliqué pour les petites maisons comme la nôtre de se distinguer dans la masse des publications et nous pensons vraiment que l'aspect des livres doit être un prolongement des voix que nous publions, et faire ainsi entrer le lecteur dans un univers au premier regard.

C'est aussi une profonde envie de s'entourer d'illustrateurs que nous estimons et ainsi être dans une forme de vision artisanale de notre travail graphique en pensant, à chaque publication, l'objet différemment.

Le prochain roman que vous allez publier ?

Le 20 mai : Une vie étincelante d'Irmgard Keun, dans une traduction de Dominique Autrand.

C'est un texte des années 1930 qui est impressionnant de modernité dans l'écriture. Il y a un rythme qui ne faiblit jamais et on est pris, avec le personnage de Doris, dans ce torrent qu'est ce Berlin des années 1930, plongé dans la crise économique et la montée du nazisme. 

En Allemagne, Irmgard Keun est considérée comme la romancière du désir, elle a été une véritable star de la littérature d'avant-guerre avant d'être interdite de publication par les nazis. Elle partira en exil et tombera peu à peu dans l'oubli avant d'être redécouverte avant sa mort dans les années 1970 par des universitaires et des mouvements féministes qui ont vu en elle une marraine, tant elle a creusé des sillons sur l'émancipation féminine et la critique de la société patriarcale.


Pour apprécier un roman publié au Typhon, le lecteur doit…

C'est une sacrée responsabilité que cette question !

On peut peut-être dire que le lecteur doit aimer vivre des expériences singulières, qu'il doit croire au pouvoir de la fiction, à la façon dont celle-ci ouvre d'autres possibles. 

Il doit également particulièrement aimer s'immerger dans des ambiances qui ne le laisseront jamais insensible. 

Et j'espère que, comme nous en tant qu'éditeur, il sera troublé et fasciné par la découverte de romans intenses qui ont de nombreuses choses à dire à notre époque.


Pour vous, éditer aujourd’hui c’est…

C'est chercher des textes bien sûr. 

C'est un attachement à l'indépendance également, financière et intellectuelle. Personne ne nous impose nos choix, nous sommes responsables de nos succès, de nos échecs etc. 

C'est aussi publier peu donc c'est avant tout savoir faire des choix et penser à la façon dont nous pouvons faire connaître nos livres au plus grand nombre. 

C'est aussi un attachement aux liens traditionnels qui unissent éditeurs et libraires ; c'est donc tout faire pour que nos textes soient les mieux possibles pour compter sur la solidarité des librairies, sans lesquelles nous ne pourrions exister. 

C'est aussi montrer que la littérature, la fiction, est une matière vivante. En ce sens, nous sommes très attachés au désir de proposer des manifestations aux publics, croisant différentes formes culturelles à travers des soirées cinéma/littérature ; musique/littérature etc. 


Quel horizon pour une maison qui édite depuis le sud ?

C'est un décentrement principalement. Une compréhension des enjeux de territoires en termes de diffusion du livre, de contact avec les lecteurs, etc. 

C'est aussi une envie d'être en contact avec les acteurs locaux du livre pour participer le mieux possible à une dynamique collective, pour montrer que de très bonnes choses peuvent se faire loin de Paris, le centre traditionnel de l'édition en France.



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* Typhon, Joseph Conrad, disponible chez Folio (Gallimard)

** Samedi soir, dimanche matin, Alan Sillitoe, aux éditions L'Echappée