Samedi 27 avril : fête de la librairie indépendante

 
Depuis 15 ans, la Fête de la librairie indépendante, c'est la possibilité pour chaque libraire (480 librairies indépendantes participent à cette journée ! ) de réaffirmer son combat complexe afin de protéger sa pratique, la diversité éditoriale (l’Édition avec éditeurs), le droit des auteurs et le livre de papier.

Pour fêter ce jour spécial, 
la Carline vous offre une rose, et le très beau livre 

Libraires, regardez-vous dans le papier

reportage photographique réalisé par deux photographes :

 Mathilde Slave et Alexandre Lazar.

 

Et toute la journée, la Carline reçoit en dédicace 

 Marie-Hélène Prouteau 

pour ses deux livres parus aux éditions La Part commune :

Les Blessures fossiles 2008 et Les Balcons de la Loire  2012 

                



photo Marie-Hélène Prouteau Née en 1950 à Brest, Marie-Hélène Prouteau a passé son enfance et son adolescence entre le Finistère et Nantes, toujours proche de la nature, jamais loin de la mer. Après des études supérieures à Paris, elle choisit de revenir à Nantes. Agrégée de Lettres Modernes, elle enseigne dans le secondaire et en IUT. A partir de 1992, elle est professeur en classes préparatoires scientifiques, chargée des cours de littérature et de philosophie. Engagée depuis longtemps dans tout ce qui touche à la lecture, à l’écriture, elle a favorisé dans son enseignement l’échange avec des créateurs venus d’ailleurs (D. Baranov de St Pétersbourg. Les Allumées 1992) ou porteurs d’autres expériences (acteurs de théâtre, architectes…). Pendant dix ans elle a organisé un cycle de conférences, seule ou avec d’autres (autour de J.-P. Vernant, M. Chaillou, J. Savigneau, J. Lévi-Valensi, P. Masson).
Elle explore différentes formes d’écriture. Ses premiers écrits, dans les années 70, furent analytiques ou théoriques (en particulier sur la situation des femmes). Un jour, elle s’est tournée vers la fiction et la prose poétique. 

thèmes
Le temps, et singulièrement l’attente, avec son lot de métamorphoses des êtres et des choses ; l’enfance, ses secrets et ses fêlures, le rapport sensitif au monde et la rêverie ; le corps, les couleurs, celles de la nature comme celles des peintres, tels sont les points d’ancrage de son écriture

extraits 
 
Les Blessures fossiles, Editions La Part Commune, 2008 
Entre deux houles, entre deux songes, mon corps dérive, il glisse sur les eaux d’une blancheur irréelle. La chambre est blanche, les draps sont blancs, mon corps s’est échoué. Une vague l’emporte – mon corps sans poids glisse et dérive, dérive, à la surface de mon lit. Par la fenêtre je perçois des atomes de vie qui s’emballent – des cimes d’arbres s’empressent au vent, des cris d’enfants, une mélodie en mineur. Et je m’envole, légère, entre des espaces morcelés qu’une magie efface. Où suis-je ? Dans une cour d’école ? J’ai six ans et j’ai cinquante ans, je flotte dans les âges. C’est la récréation, des petites filles aux joues d’un rouge d’airelle chantent une chanson basse sous des tilleuls.
Tout à coup : ce roulement cliquetant, frappant vitres et murs… Cling clang cling clang. Je me ratatine sous les draps. C’est un treuil au plafond qui est en train de s’activer. Cling clang cling clang. Un treuil ? Le bruit inquiétant quadrille l’air dans la chambre sans murs. Cling clang, étranges vocalises d’une poulie qui grince. C’est comme une mise en scène compliquée. Cling clang. Je suis sous la mer et je me noie dans des flots d’un blanc de céruse. Cling clang – c’est le bruit métallique de cette ancre marine que j’essaie d’attraper désespérément pour échapper à la noyade et qui ne cesse de s’éloigner de moi. J’ai dans la bouche des algues et du sable qui m’empêchent de crier. Mes cheveux bruns me collent au visage. Un adolescent-statue me regarde, songeur, tandis que je coule, entraînée vers le fond par mes vêtements. Il a une tête d’archange sombre. Soudain, ses bras deviennent des tentacules verts qui frémissent dans les grandes plaines de maerl blanc. Ses cheveux transparents où s’accrochent des coquillages ondulent en longs fils de soie. Et cette lumière émeraude de la mer sous l’orage, bordée d’écume blanche, me donne l’impression d’être quelque part le long de la côte, en Bretagne.

[…] Ma main caresse au passage de hautes fougères aux allures de reines qui meurent. Je renifle, je flaire, je goûte des senteurs d’écorce, de baies brillantes d’églantiers. Plus loin, après un muret de pierres, les taches mauves des bruyères d’automne, un champ de blé coupé depuis peu, un talus couvert d’ajoncs. Vous, les fougères, les blés, les ajoncs, j’aimerais avoir de vos nouvelles, dans un mois, dans un an. J’ai besoin que vous demeuriez dans la beauté des choses, du temps d’avant.
J’aperçois, dans un pré, un âne qui laisse se perdre dans l’air son rire retroussé de vieux solitaire. Il semble avoir l’éternité devant lui. Je lui en voudrais presque d’avoir autant l’air d’exister.


Les Balcons de la Loire, Editions La Part Commune, 2012

Je me dis, c’est curieux ces échos qui traversent ma vie. Faut-il y voir l’effet des sortilèges de cette ville ? Les remous de la marée y sont-ils pour quelque chose ? Ou les gémissements des grands oiseaux blancs ?
Cette ville aux doigts de pluie, ouverte sur l’Océan.
Avec ses coups de vent et ses grains, elle semble faite par moments d’une texture fluide, vaporisée, comme si les gouttes d’eau qui perlent sur les chaussées et les toits restaient en suspens dans les cœurs. Mais cette douceur endormeuse qui semble liquéfier les choses et les êtres a quelque chose d’inquiétant. Un peu d’une chimie ensorcelante passe chaque jour dans ces recommencements maritimes. S’il y a un esprit des lieux, que peut bien engendrer l’afflux de ces eaux mêlées de sel et de pluie ? Peut-être un précipité d’effluves bizarres qui vient brouiller le cerveau des habitants saisis parfois d’imprévisibles étrangetés.